Talk & Tour : Philippe Potié


Pour l'exposition Operational Aesthetics, Philippe Potié a développé une réflexion sur l’histoire et le devenir des villes dans une perspective historique et géographique large. Organisée en quatre chapitres, il s’agit d’une grande fresque interrogeant la relation fondamentale entre temps et espace qui domine la vie de l'homme : le Temps des Dieux, le Temps de l'Homme, le Temps des Machines et le Temps des Nuages. Philippe Potié est architecte et docteur en architecture, diplômé de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Grenoble et de l’Ecole des hautes études et sciences sociales de Paris. Il est promoteur au centre de recherche LéaV ENSA-V Paris-Saclay. Potié enseigne à l’école nationale supérieure d’architecture de Versailles. La visite de l'exposition Operational Aesthetics avec Philippe Potié et la conférence sont en français.

Dates
Mercredi, 14 mars, 2018
Heures
19:00 > 21:00
Lieu
CIVA, Rue de l'Ermitage 55, 1050 Bruxelles
Tickets

adultes : 10€ / tarif de groupe : 8€ / étudiants & seniors : € 5 / -18 ans : gratuit

 

Les Architectes du Temps

En délimitant l’espace, nous pouvons habiter le temps. Le cercle de pierre,
l’enclos de bois, le talus de terre encadrent la destinée en assignant au
déroulement du temps une esquisse de scénario. En cernant l’espace, le
mur délimite à la fois un lieu et un temps : temps sacré du temple, temps
profane des activités humaines. Qu’il soit consacré aux dieux ou destiné aux
hommes, l’enclos dit le temps en préfigurant les actes qui vont s’y dérouler.
Du rempart fortifié à la simple haie de jardin, l’enclosure fixe la partition du
temps, ses rythmes, ses tonalités tragiques ou heureuses. Délimiter l’espace,
fermer le cercle, c’est se donner l’illusion salvatrice de maîtriser un tant soit
peu la durée ; c’est croire en un destin face à l’incertitude du monde. La
construction du mur est comme celle d’une horloge, d’un cadran solaire
dont l’homme remonte le ressort et, s’il le veut, en accélère ou ralentit le
mouvement. L’architecture est une fiction temporelle : l’utopie d’un temps
dont nous maîtriserions le déroulement de l’histoire.
Pour comprendre la dynamique de ce processus, il faut partir du fait
maintenant bien documenté par les sciences cognitives et la psychologie
que l’esprit humain – le cerveau – passe son temps à reconstruire des
espace/temps cohérent qui permettent de comprendre le monde et d’y
développer un projet qui est un sens. Ce mécanisme automatique et
quasiment inconscient reste difficilement perceptible alors qu’il est
primordial.
La courte vie d’un animalcule marin va par contraste nous aider à saisir
l’importance de cette « obsession » de notre cerveau pour construire des
espace/temps. À sa naissance un petit animal aquatique (les Ascidiacés),
simple tube digestif se nourrissant de plancton, doit se dépêcher de trouver
un rocher où se fixer pour sa vie entière. Il développe pour ce faire une
stratégie de déplacement pour mettre à bien son projet d’habitat. Il dispose
pour cela d’un cerveau, certes réduit à quelques neurones, mais qui le guide
dans ses recherches. Une fois arrimé à son rocher, rassuré, et n’ayant plus à
s’inquiéter de quelconques projets d’avenir, il se nourrit en premier lieu d’un
élément qui ne lui sert désormais plus à rien : son cerveau.
À l’inverse nous sommes, humains, condamnés à assumer une devenir, voire
une destinée. Aboutissement de l’évolution contraire, notre cortex n’a cessé
de grossir, faisant de nous des animaux parfois heureux, mais toujours
inquiets ; à la quête, jamais satisfaite, d’un nouveau rocher où accrocher nos
rêves.

Philippe Potié